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Les trois hélicoptères se trouvaient à présent réunis, à quelques mètres les uns des autres, dans une des vieilles rues de Jackson envahies par la nuit.
Dans quelques instants, le général Maxwell T. Frost allait donner le signal du départ. Les hommes embarquaient lentement, les épaules fléchies sous le poids d’une journée qu’ils n’allaient pas oublier de sitôt.
Marc Hospitz devait être en train d’examiner des emballages de Gold Smoke. Quand Bob et les autres débarqueraient à Fort Detrick, le biochimiste, Morane en était convaincu, aurait percé le secret de l’Ombre Jaune, et peut-être même mis un nom sur le terrible poison.
Un peu à l’écart des appareils dont les silhouettes, dans la nuit, faisaient plus que jamais penser à de monstrueux insectes atteints de gigantisme, Bob et Bill regardaient distraitement un groupe d’une dizaine de soldats, qui avaient allumé un feu autour duquel ils bavardaient avec animation. Ceux-là allaient demeurer quelques jours à Jackson. Il fallait, en effet, fouiller de fond en comble l’ancienne ville minière, à commencer par le hangar où l’Ombre Jaune avait installé sa petite industrie, mettre en lieu sûr ce qui devait l’être et détruire, après avoir reçu à ce propos des instructions de Fort Detrick, les stocks de Gold Smoke accumulés par la Smith & Smith Company.
Ballantine remit dans sa poche le flacon de Zat 77 au goulot duquel il venait de coller des lèvres avides. Après avoir poussé un petit soupir de satisfaction, il demanda :
— Qu’est-ce qui vous a donné l’idée, commandant ?
— C’est Dranlieu qui m’a mis sur la piste, répondit Morane.
— Dranlieu ?
— Lorsqu’il a ouvert son paquet de Pall Mail, tout à l’heure. Je ne sais pourquoi, par association d’idées sans doute, mais ça m’a fait penser au paquet de Gold Smoke trouvé sur le cadavre de Travernier, à Paris, et à celui de Maurice Voigt, dans l’avion. Tu te souviens ?
— Sûr…
— Ces paquets avaient été ouverts sans être déchirés…
Se tournant vers son ami, Bob insista :
— Tu comprends, Bill : sans être déchirés…
Le colosse hocha la tête. Là-bas, les flammes jetaient des lueurs dansantes sur les ruines. Des étincelles s’élançaient vers le ciel, rouges et minuscules étoiles filantes, mortes aussitôt nées.
— Les gens qui fument, reprit Morane, n’ouvrent pas tous un paquet de cigarettes de la même manière. Certains déchirent la bandelette qui est collée dessus, et d’autres pas. Beaucoup déchirent aussi le papier métallisé, sous l’emballage. Dranlieu, lui, ne déchire rien du tout. Un type méticuleux, le général. Il a ouvert son paquet de Pall Mail comme si c’était quelque chose de très précieux, quelque chose qu’il ne fallait surtout pas abîmer. Tout comme Travernier, et Voigt…
— Mais Travernier savait, lui…
— Sans doute, sans doute…
— À votre avis, pourquoi voulait-il tuer Pep ?
— Un ordre de l’Ombre Jaune, j’imagine. C’est bien dans la manière de Ming, il me semble : surtout pas de témoins !
— Mais Pep ne savait rien !
— Elle faisait partie du personnel de Publipublic, et elle avait côtoyé Travernier. Tu crois qu’il en faut davantage pour que Ming décide de se débarrasser de quelqu’un ?
Ballantine laissa la question sans réponse. Sa main glissa vers sa poche et en ramena le petit flacon de whisky qu’il vida d’un trait, cette fois, avant d’en caresser tendrement l’étiquette, du bout d’un index qui ressemblait davantage à une matraque qu’à un doigt. Et il murmura :
— L’est temps qu’on rentre à Fort Detrick… J’commençais à être à court de carburant…
Bob Morane, lui, ne dit rien. Fort Detrick. Là où il avait laissé Rose Jeune, en compagnie du professeur Hospitz. Rose Jeune, Pep. Bob eut soudain envie de revoir le petit visage piqué de taches de son, les yeux clairs, comme javellisés. Comme ça, sans raison précise. Comme on a envie de revoir un paysage agréable et reposant. Du moins, c’était l’excuse qu’il se donnait.